Les 70 ans d'histoire de notre cabinet dentaire à Fribourg
C’est en 1950 que le premier représentant de trois générations de médecins-dentistes installe son cabinet dentaire à l’avenue de la Gare 9 à Fribourg, au 2ème étage d’un immeuble flambant neuf. Au fil des décennies et des révolutions successives dans la pratique de la médecine dentaire, le témoin va se passer par trois fois en toute harmonie dans un cabinet toujours novateur et à la pointe de la technologie.
Bibliothèque cantonale et universitaire Fribourg. Collection de cartes postales. Vers 1910
Nous sommes en 1950.
L’avenue de la Gare de Fribourg, qui fut à partir de la fin du XIXème siècle une des artères symbolisant la ville moderne et le déplacement du centre des affaires de la ville médiévale vers la gare alors située en périphérie, laisse encore place à quelques immeubles majestueux de la Belle Époque.
Côté sud de l’avenue de la Gare, la Maison Fischer (anciennement pharmacie Cuony), l’Hôtel Terminus et l’immeuble d’angle abritant la Pharmacie Dr a Marca sont alors entremêlés d’immeubles plus anciens ou reconstruits (Café des Alpes, Cinéma du Capitole, Le Brésilien) formant un ensemble hétéroclite qui aura alimenté la polémique durant plusieurs décennies.
Côté nord, l’immeuble de la Banque Populaire Suisse (aujourd’hui Crédit Suisse) a déjà remplacé des bâtisses plus anciennes, tout comme la Bâloise, à l’autre extrémité de l’avenue, a érigé ses premiers bâtiments sur le site de la Maison Ayer-Steinauer disparue.
La Bâloise construit alors un nouveau bâtiment aux numéros 7 et 9 de l’avenue, après avoir démoli trois anciennes maisons. Dans un contexte de haute conjoncture économique d’après-guerre, le nouvel immeuble donne un élan moderne et prestigieux à cette section de rue. Sa façade du rez-de-chaussée revêtue de marbre, ainsi que son vaste hall d’entrée avec son escalier à quarts tournants, lui confèrent un certain luxe.
© Bibliothèque cantonale et universitaire Fribourg. Fonds Jacques Thévoz. 1956
C’est alors que le Dr André Leibzig, médecin-dentiste exerçant depuis plusieurs années dans son cabinet situé au coeur de la rue de Lausanne, recherchant des locaux plus espacés et mieux éclairés, vient s’installer dans l’immeuble fraîchement construit de l’avenue de la Gare 9.
Il choisit un étage pas trop élevé, le 2ème, afin que les personnes qui, assez nombreuses à cette époque, craignaient de prendre l’ascenseur, ne soient pas trop empruntées par les escaliers.
Les locaux sont conçus pour un logement d’habitation de l’époque : depuis un couloir central, sont distribués d’un côté trois vastes chambres, de l’autre une cuisine, des WC et enfin une petite salle de bains.
Le Dr Leibzig équipe alors deux des chambres en salles de soins et la troisième sert de salle d’attente.
L’espace cuisine est transformé en laboratoire dentaire, alors que l’espace salle de bain est aménagé en local de nettoyage et stérilisation.
Les salles de soins sont équipées ainsi : l’unit (fauteuil et instruments qui l’entourent) est alors placé très proche et vis-à-vis de la fenêtre pour bénéficier de la lumière naturelle. Le médecin-dentiste travaille en position debout, un meuble haut comportant de nombreux tiroirs de rangement est placé à portée de main pour accéder aux divers instruments et matériaux. Il travaille seul dans sa salle et requiert exceptionnellement l’aide d’une assistante dentaire durant les soins. Un grand bureau à deux corps complète le mobilier.
Photo d’illustration
Il est courant à cette époque que le médecin-dentiste emploie au sein même de son cabinet un technicien-dentiste dans une pièce aménagée. Les réalisations essentiellement de prothèses dentaires en résine ou de couronnes coulées en or demandent alors un équipement technique assez limité.
Le local de nettoyage et stérilisation des instruments est relativement exigu. Les divers instruments sont nettoyés au lavabo, puis stérilisés dans un autoclave fonctionnant à l’alcool. Un espace est réservé à l’emplacement des bains pour le développement des radiographies. La pièce sert alors de chambre noire. Un autre coin fait office de bureau où est posée la machine à écrire.
Un petit meuble adossé dans le couloir central, supportant le téléphone, l’agenda et les cartes de rendez-vous, fait office de réception.
Le Dr Leibzig emploie une seule assistante dentaire, qui assure la réception des patients, s’occupe de la désinfection et stérilisation du matériel, assiste au besoin son employeur au fauteuil, gère tout le bureau et… le jeudi-après-midi, en l’absence de consultations, se mute en femme de ménage pour nettoyer tous les locaux.
Un technicien-dentiste est également employé à temps complet.
Le rythme de travail de chacun est soutenu, et les 50 heures de travail hebdomadaires, alors habituelles, représentent un minimum.
L’unit est équipé d’un bras articulé avec poulies de renvoi et courroies élastiques qui transmettent le mouvement de rotation depuis le moteur électrique interne jusqu’à la pièce à main où sont placées les diverses fraises. Une turbine à air est disponible sur un petit chariot annexe. Un système d’aspiration ingénieux fonctionne au travers d’une conduite d’eau (effet Venturi), permettant d’aspirer quelque peu la salive.
L’anesthésie est assez rarement utilisée. Les caries sont réparées avec des amalgames pour les dents postérieures et avec des silicates au début puis des composites pour les dents antérieures plus visibles. Les traitements de racines sont sommaires. On ne dispose que de quelques tire-nerfs sans normes. Les extractions de dents sont très fréquentes.
Ainsi les prothèses complètes ou partielles amovibles sont légion. Les empreintes se prennent encore souvent au plâtre. Le technicien-dentiste sur place est très sollicité. En prothèse fixe, la couronne or coulée est utilisée pour les dents postérieures. Pour la région antérieure où l’esthétique est prépondérante, des couronnes en or coulé avec incrustation de résine blanche ou avec des facettes de porcelaine préfabriquées ajustées sont proposées.
Les soins prophylactiques sont encore peu développés. On réalise de simples détartrages manuels, de même que l’on ne s’attarde pas sur les dents déchaussées qui sont rapidement extraites. Les moyens auxiliaires, comme le fil dentaire, font défaut.
Les radiographies sont encore peu utilisées. Un appareil à rayons X encombrant est disposé sur un chariot et déplacé d’une salle de soins à l’autre. Le développement se fait par trempage dans des bains en chambre noire.
Au niveau du bureau, les notes d’honoraires sont «tapées» sur une HERMES classique en quelques lignes, sans description des traitements.
Transition vers les années 1970
Au fil des ans, le Dr Leibzig a également occupé des médecins-dentistes assistants. En 1973, le projet de remettre son cabinet à moyen terme le fait entrer en contact avec Robert Mauron, jeune médecin-dentiste diplômé de l’Université de Genève et alors assistant à la Polyclinique de médecine dentaire de Genève.
Après un bref entretien, Robert Mauron est tout de suite engagé comme médecin-dentiste assistant. Ayant été habitué durant sa formation universitaire à travailler en position assise avec le patient incliné en arrière sur le fauteuil, il fait aménager une des salles de soins selon les standards du jour, avec un nouvel unit placé au centre de la pièce et un éclairage au plafond performant.
Une apprentie assistante dentaire est également engagée pour renforcer l’équipe, sa formation étant complétée par une demi-journée de cours théoriques hebdomadaires à l’École fribourgeoise d’assistantes dentaires nouvellement créée.
Au printemps 1975, Robert Mauron reprend les rênes du cabinet à la suite de la retraite du Dr Leibzig. Il renforce son équipe en engageant un médecin-dentiste assistant et une seconde assistante dentaire. Les travaux de nettoyage des locaux sont confiés à une femme de ménage.
L’équipe des assistantes dentaires en 1982
La deuxième salle de soins est modernisée. La pièce servant de laboratoire dentaire est transformée en bureau. En effet l’évolution et la complexité des techniques dentaires poussent naturellement le médecin-dentiste à collaborer avec des laboratoires dentaires indépendants de plus en plus spécifiquement équipés.
Les soins dentaires évoluent considérablement. L’anesthésie dentaire, devenue beaucoup mieux tolérée, se généralise. Les douleurs lors des soins cessent d’être une fatalité.
Les matériaux composites utilisés pour les soins des caries s’améliorent, la lampe à polymériser facilite grandement leur application. L’amalgame demeure, mais vers les années nonante, il commence à être remplacé par des composites esthétiques. Pour les traitements de racines, des instruments nouveaux et sélectifs facilitent l’accès aux canaux radiculaires. L’alésage mécanique fait aussi son apparition et rend la technique très performante.
Grâce à la prophylaxie, les extractions multiples deviennent très rares. Pour le remplacement des dents manquantes, on conserve au maximum les dents fiables pour y fixer un pont ou y accrocher une prothèse partielle. Les empreintes se prennent avec les nouveaux matériaux plastiques à mémoire de forme. Les couronnes or cèdent la place aux couronnes esthétiques en métal recouvert de céramique.
La petite chirurgie est pratiquée au cabinet, alors que les interventions compliquées ou nécessitant une narcose se font à l’HFR. On adresse aussi certaines opérations auprès d’un chirurgien maxillo-facial à Lausanne jusqu’au moment où une telle discipline s’ouvre à Fribourg au milieu des années nonante.
La prophylaxie prend une place importante. L’arrivée des ultrasons facilite les détartrages. On prend davantage de temps pour l’examen des gencives et pour l’orientation des patients. Les techniques de brossage et l’utilisation du fil dentaire sont enseignées. L’usage du fluor diminue considérablement
l’apparition de caries. Les cas complexes de parodontie sont adressés auprès de spécialistes parodontologues.
En 1981, une première hygiéniste dentaire est engagée pour renforcer l’équipe soignante du cabinet. La profession est toute nouvelle, l’Ecole d’hygiénistes dentaires de Genève ayant été créée en 1976.
Les examens radiographiques deviennent routiniers. Ils permettent de dépister des caries précocement avant leur évolution vers des complications. Les appareils à rayons X et les films utilisés sont toujours plus performants et diminuent la dose de rayonnement nécessaire.
En orthodontie, Robert Mauron traite également dans son cabinet les cas plus simples avec des appareils amovibles, les cas plus complexes étant référés à Berne. Puis dès 1978 avec l’arrivée à Fribourg d’orthodontistes spécialisés, l’ensemble des jeunes patients nécessitant une correction orthodontique leur sont adressés.
L’administration du cabinet se développe. Les cas d’accidents pris en charge par les assurances demandent quelques échanges de courrier. Les notes d’honoraires sont adressées avec un détail de 46 positions cochées manuellement.
En 1984, le premier ordinateur avec imprimante à aiguilles trouve place au cabinet et est utilisé pour établir des notes d’honoraires détaillées. Cet apport avant-gardiste demande la sollicitation d’un informaticien pour concevoir un programme «fait maison», puisqu’il n’en existe encore aucun sur le marché.
Au fil des ans, Robert Mauron poursuit la tradition formatrice de son prédécesseur en formant plusieurs apprenties assistantes dentaires, ainsi que quatre médecins-dentistes assistants.
Transition vers les années 2000
Son dernier médecin-dentiste assistant, Jacques Morard, diplômé de l’Université de Genève, est engagé en 1995. Ce dernier est bien connu de son employeur, puisqu’il est déjà son jeune patient depuis l’âge de 8 ans.
Après quelques années de collaboration, l’idée d’une association entre Robert Mauron et Jacques Morard fait son chemin et voit le jour en 1998. La création d’une troisième salle de soins est alors nécessaire. Des locaux vacants adjacents au cabinet actuel sont utilisés pour l’installation d’un nouveau cabinet dentaire adapté à la pratique de deux médecins-dentistes à plein temps ainsi que d’une hygiéniste dentaire. Les diverses pièces sont disposées pour une fonctionnalité optimale. Le local de stérilisation s’étend à la mesure que les normes à ce sujet se sont développées. Un réseau informatique est installé avec des écrans dans chaque pièce, y compris sur les units.
Les radiographies numériques font leur apparition, permettant de réduire considérablement l’exposition aux rayons X. Des programmes de gestion du cabinet performants sont désormais disponibles sur le marché.
Les soins dentaires poursuivent leur évolution. Les amalgames deviennent désuets. Les implants dentaires sont de plus en plus courants pour le remplacement d’une dent, plutôt qu’un pont comme auparavant. Les couronnes céramiques deviennent toujours plus performantes pour reproduire une dent naturelle à l’identique.
À la fin 2007, Robert Mauron prend sa retraite après 35 ans d’une activité dévouée et harmonieuse.
Ainsi Jacques Morard, à son tour, reprend le flambeau début 2008.
Il complète son équipe en s’entourant d’une première médecin-dentiste assistante, ainsi que de plusieurs hygiénistes dentaires à temps partiel.
En 2013, la numérisation faisant son chemin, l’administration du cabinet dentaire devient sans papier. En l’espace de 6 mois, tous les dossiers physiques des patients sont progressivement scannés.
Le concept d’hygiène au cabinet est continuellement adapté aux nouvelles normes en vigueur, en multipliant notamment les contrôles de fonctionnement et la traçabilité.
Les traitements orthodontiques sont révolutionnés par l’apparition des gouttières transparentes, qui confèrent une grande discrétion et un confort accru.
Les caméras numériques de plus en plus performantes permettent la prise d’empreinte pour la réalisation de couronnes ou de prothèses amovibles assistée par ordinateur.
Jacques Morard poursuit comme ses prédécesseurs la tradition formatrice de son cabinet dentaire, en ayant accompagné dans leur formation des apprenties assistantes dentaires, des stagiaires assistantes en prophylaxie, des stagiaires hygiénistes dentaires, ainsi que depuis 2019 sa quatrième collaboratrice médecin-dentiste assistante.
Son équipe, représentant toutes les professions du cabinet, est composée d’une douzaine de collaboratrices, pour la plupart à temps partiel.
Début 2020, il crée et met en ligne son site internet.
Cette histoire est associée avec émotion à celle de bien quelques patients, à la chevelure devenue quelque peu poivre et sel, qui maintenant encore, empreints d’une fidélité inébranlable, n’ont fréquenté depuis leur enfance que ce seul et même cabinet dentaire et ses trois générations de médecins-dentistes.
de Robert Mauron
2020